Londres 38 « maison de la terreur » à Santiago

Le fantôme de la « démocratie autoritaire » du général Pinochet plane toujours sur le Chili. Le Musée de la mémoire érigé dans le quartier Yungay de Santiago, ou encore cette maison bourgeoise située au centre de la capitale chilienne, rue Londres, au numéro 38, se dressent comme autant de remparts contre l’oubli des événements qui ont plongé le Chili dans les affres de la dictature, entre 1973 et 1990.

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Un jour de 1973, le fils de Luz n’est pas rentré à la maison. Le jeune homme n’avait sans doute pas la même vision du monde que certains voisins ou camarades de fac, enclins à la dénonciation. Cet étudiant appartenait-il à une organisation, un syndicat ou un parti politique jugés trop à gauche par ceux qui se sont emparés du pouvoir par la force des bombes, lâchées sur le palais présidentiel le 13 septembre 1973 ? A-t-il pris les armes pour défendre les idées socialistes du président Allende ? Personne ne le sait.

 « Des gens ont été torturés ici »

Peu importe d’ailleurs. « À l’époque, tout le monde dénonçait tout le monde. Par conviction ou juste par crainte d’être dénoncé à son tour », confie Pablo sur le pas de la porte d’une jolie bâtisse de Santiago. La façade ne laisse rien augurer de ce qui est « advenu » entre ces murs.

Le quidam passe sans prêter attention à cette maudite maison

Le quidam passe sans prêter attention à cette maudite maison

Un passé trouble que Pablo, la bonne soixantaine tient à partager avec les jeunes générations. « Des gens ont été torturés ici. J’ai moi même été emprisonné mais dans une autre « maison de la terreur ». Des endroits comme celui-ci, il y en avait un peu partout dans le pays. »
Pablo en est ressorti pour se réfugier à l’autre bout du monde, en Suède, dont il est devenu citoyen. Le Chili, il n’y revient plus que quelques mois par an. Et la plus jeune de ses filles refuse de poser le pied dans le pays de ses origines, symbole de souffrance, rien d’autre. Un crève-cœur pour son père.

Des murs blancs et des marches usées

À l’intérieur de la bâtisse, plus rien. Juste des murs blancs, du parquet usé et des marches d’escaliers polies par les pas des tortionnaires, membres de l’armée, et de leurs victimes.

L'impunité pour presque tous ceux qui ont mené les interrogatoires

L’impunité pour presque tous ceux qui ont mené les interrogatoires

Quelque 96 personnes. Des femmes, dont certaines enceintes, des jeunes d’à peine la vingtaine, d’autres à la fleur de l’âge ou au crépuscule de leur vie. Parmi eux, 63 militants du Mir (Mouvement de la gauche révolutionnaire), 17 du Parti communiste, 10 du Parti socialiste et six personnes sans aucune appartenance. Ici et là, de récentes inscriptions témoignent de ce qui est arrivé dans ce lieu. « Lo que sucedió en esta casa, sucedió fuera de ella. El terrorismo de Estado operó sobre el conjunto del país » (« Ce qui s’est passé dans cette maison s’est passé dehors. Le terrorisme d’État s’est appliqué à l’ensemble du pays »). 

Des méthodes à soulever le cœur

Une coquille vide, « pas un musée », rappelle Juan, gardien de cet « espace de mémoire », géré par l’association Londres 38. Et le simple plan de la maison qu’il remet à l’entrée à de quoi faire froid dans le dos. Au rez-de-chaussée comme à l’étage, des « oficinas » (bureaux), un euphémisme pour désigner les salles de torture. Les autres servaient aux interrogatoires musclés. À chaque pas, le malaise s’installe un peu plus chez les visiteurs silencieux. Quelques-uns sont envahis par des frissons horreur : tous les moyens étaient bons pour passer les prisonniers à la « question ».

Derrière les portes, les "officinas", salles de torture

Derrière les portes, les « oficinas », salles de torture

Des méthodes à soulever le cœur détaillées au Musée de la mémoire et des droits de l’homme de Santiago, datant de 2009. Avec son inauguration, les barbaries de la dictature Pinochet ont quitté les ténèbres du silence.

Certains sont morts, d'autres recontent

Certains sont morts, d’autres racontent

« J’avais les yeux bandés, je ne savais pas où j’étais et pourquoi j’y étais », peut-on lire dans l’un des nombreux recueils de témoignages. À côté de ces volumes imposants, un petit livret laisse entrevoir d’étranges schémas : des corps qui semblent nus et maintenus allongés par des sangles à une armature de métal. Des points noirs définissent les parties les plus sensibles. Celles qui recevrons des décharges sensées délier les langues. Trois pas plus loin, c’est le visage d’une femme, la cinquantaine, qui raconte l’insupportable douleur qu’elle a ressentie traversée par l’électricité. À écouter et lire ces récits, une boule se forme dans le ventre. Indignation, dégoût du pouvoir alors en place, rage, tristesse. Les sentiments se mêlent.

« L’apparence d’une démocratie » 

Tout cela est-il bien terminé ? Une partie du Chili en doute. « Tout changer pour que rien ne change », souligne Victor, la cinquantaine, du côté de l’île de Chiloé. Ana, habitante de Santiago qui n’a pas encore 30 ans, explique que son pays « n’a de démocratique que l’apparence ». L’association Londres 38 assure même que l’enlèvement, une pratique phare du régime Pinochet, « le chef suprême de la nation », se pratique toujours.

Qu'est devenu José ?

Qu’est devenu José ?

Et veut pour preuve la disparition de José Huenante en septembre 2005, à Puerto Montt, un adolescent de 16 ans, pauvre et Mapuche de surcroît. « Bien sûr, il y a eu des avancées, concède Victor. Maintenant, on peut sortir et avoir la quasi certitude de rentrer chez soi. Mais la répression existe toujours. »

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