Maragua au bout du chemin de l’Inca

A moins de 50 kilomètres de Sucre, la capitale constitutionnelle bolivienne, et pourtant coupés du monde, « los pueblos jalq’a ». Méfiance. A n’importe quelle agence de tourisme ou guide qui évoquera la topographie cette région comme le résultat de la chute d’une météorite ou étant l’endroit rêvé pour admirer d’ancestrales techniques de tissage, leur faire comprendre que tous les visiteurs ne sont pas de stupides gringos. Après la stupeur suscitée par une telle réponse, reprendre la conversation sur de bonnes bases. Plus honnêtes.

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Pourquoi raconter des histoires ? Oui cette partie de la « région des vallées », à l’ouest de Sucre, se nomme cratère de Maragua. Mais elle n’a pas besoin d’un petit Armagedon pour séduire.
Les traces visibles d’une intense et ancienne activité tectonique suffisent. Pas la peine non plus de promettre démonstration de tissage et tout le tremblement aux visiteurs. Les Jalq’a sont bien d’étonnants tisseurs mais occupent aussi leur semaine entre les champs et les marchés. Impossible ou presque de programmer les rencontre.

Trois feuilles à Chataquila

Alors inutile de les promettre. Et miser plutôt sur l’authenticité dont regorge déjà une balade depuis la ville jusqu’aux pueblos.
Offrir ses trois meilleures feuilles de coca, les deux mains jointes, à la Vierge de Chataquila peut être par exemple un bon moyen d’entamer cette incursion dans la Cordillère de los Frailes. Une clé comme une autre pour comprendre de quelle manière le catholicisme se mêle aux croyances en la Pachamama, une fois sorti des grandes agglomérations.

La vierge Marie mais aussi la Pachama

Au pied de la vierge Marie, ou Pachama, des feuilles de coca en offrande

Intacte après 500 ans

Demander une protection à la sainte de ce petit sanctuaire n’exclut pas un ultime recours à l’écran total avant d’entamer la descente vers Chaunaca par le chemin de l’inca.

Sur le chemin de l'Inca

Sur le chemin de l’Inca

Une route sinueuse. Deux heures et quelques kilomètres pour apprécier une vue imprenable sur la vallée et le savoir des peuples anciens en matière de construction. Par endroit, la voie qui serpente entre les montagnes et construite il y a cinq cents ans est intacte. Ce matin, ils étaient dans les fumées d’échappement de Sucre, la Cité blanche. Ils parcourent maintenant un antique chemin de pierre jalonné de plantes médicinales, avec le cratère de Maragua qui se dévoile un peu plus à chaque virage. Ciel bleu, flancs de montagnes colorées, panorama vertigineux… Vraiment nul besoin d’histoire de météorite pour apprécier.

Montagnes majestueuses

Montagnes majestueuses

Question de cycles

Rien ne sert non plus de focaliser sur les célèbres tisserands pour savourer un passage à Maragua, au risque de manquer quelques recoins importants du village. La grotte par exemple. Dans une falaise qui domine le fleuve, c’est ici que se cacherait le diable. Les villageois l’ont déjà entendu ! D’ailleurs les musiciens laissent devant son antre leur instrument afin qu’il affine leur accordage. Voilà pour la croyance. Ou, selon les plus incrédules, le simple bruit du vent qui s’engouffre dans la sombre cavité. Chacun son camp. Mais sans conteste l’endroit idéal, entre quelques stalactites et appuyé sur la roche polie par le temps, pour évoquer un aspect primordial de la vie rurale des vallées : la musique.

L'antre du diable, Supaï wasi

L’antre du diable, Supaï wasi

On ne sème pas à n’importe quel moment et on récolte à la bonne saison. Le basique pour un paysan. Et comme pour l’agriculture, il y a un temps pour chaque instrument. Avec les pluies, celui des quenas (flûtes). Le charango (guitare) afin de rythmer le retour du soleil. Ainsi va la vie du côté de Maragua : un temps pour chaque chose dans le respect d’un cycle plus grand. Celui de la Pachamama.

Le charango, rythme le retour du soleil

Le charango, rythme le retour du soleil

Les secrets de Krispin

Ces choses-là, Krispin Buenaventura les connaît sur le bout des doigts. Habitant de Maragua et musicien, il héberge chez lui le musée local dédié à sa terre. Derrière une porte de bois, reposent quelques trésors archéologiques et culturels : des fossiles – peut-être même de la peau de dinosaure -, des pointes de flèches et des bijoux d’un autre temps, de la céramique, des instruments, un poncho traditionnel, un porte-bonheur construit par la communauté qui protège les récoltes… Où Krispin a-t-il pu trouver tout cela ? Y a-t-il des zones encore inexplorées que lui seul connaît ?

Derrière des murs en brique de terre la maison et le musée de Krispin

Derrière des murs en briques de terre, la maison et le musée de Krispin

Tellement de questions à poser au maître des lieux malheureusement absent. Seule sa radio accrochée au mur fonctionne. Quelques minutes d’attente, au cas où, mais Krispin doit en ce moment veiller son terrain. Dommage. Peut-être aurait-il pu expliquer de façon précise l’étrange topographie des lieux. Par quel prodige Maragua s’est il retrouvé au centre de ce cratère ou plutôt de ce synclinal ? Au milieu le village, tout autour d’étranges montagnes aux formes circulaires. Comme si la plaine avait été compressée par une force infernale.

Les forces telluriques ont façonné le paysage

Les forces telluriques ont façonné le paysage

Mais Krispin est aux champs, comme beaucoup de ses voisins. Les tisserands, eux, sont à Sucre pour affaires. Ce qui donne à Maragua de faux airs de villages abandonné.

Sur les hauts plateaux andins, le blé blondit au soleil

Sur les hauts plateaux andins, la moisson reste artisanale

Le village devient fantomatique quand ses habitants partent en ville

Le village devient fantomatique quand ses habitants partent en ville

Non. Il est simplement à 50 kilomètres de Sucre mais coupé du monde, loin de ses turpitudes. Et en le regardant s’éloigner dans le rétroviseur, par cette route poussièreuse de montagne, une question : pour combien de temps encore ?

Retour à Sucre, dans la vallée

Retour à Sucre, dans la vallée

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